Le Livre écorné de ma vie de Lucius Shepard

Quatrième de couverture : Auteur à succès, Thomas Cradle se découvre par hasard un homonyme romancier dont il ne savait rien. Intrigué, il se procure l’unique ouvrage de ce dernier, et réalise bientôt qu’au-delà de leur patronyme, les deux hommes partagent une date de naissance identique, sont nés dans la même ville et ont fréquenté la même université… La lecture de l’ouvrage achève de convaincre Cradle du caractère fascinant de sa découverte, les points communs sont trop nombreux, trop évidents : il lui faut partir sur les traces de cet autre Cradle. Et pour ce faire, une seule destination : le Mékong et ses méandres, entre Laos et Viêt Nam — comme un écho aux motifs d’un narrateur bien plus toxique qu’il n’y paraît… Jusqu’au cœur des ténèbres, en somme, jusqu’à déchirer le voile d’une réalité impensable.

Avis : La quatrième de couverture m’avait vendu du rêve ; la lecture fut tellement laborieuse. Une heure-lumière s’est transformée en semaines-ennui (oui, avec un s).
Le Livre écorné de ma vie est assez clivant. Je m’en suis rendu compte en allant lire quelques avis : il est loué ou il déçoit. Personnellement, il m’a agacée.

Le personnage principal, l’auteur dans le livre, est antipathique et détestable pour plein de raisons. Est-ce que c’est voulu par Shepard ? Oui. Je me suis quand même longtemps demandé où il voulait en venir et si c’était utile ; j’ai compris à la fin que c’était volontaire et effectivement nécessaire. Ça ne m’a pas empêchée d’être agacée, parce que j’ai trouvé cette façon de caractériser le personnage flemmarde et facile.

À quoi recourt l’auteur pour rendre Thomas Cradle odieux ? L’égocentrisme, le sexisme, le racisme, les relents colonialistes, les agressions sexuelles et les viols. C’est un drogué et un alcoolique en plus de ça. Lucy, qui l’accompagne un temps, a clairement été pensée par un homme. Elle est souvent là pour servir le personnage masculin. Elle se transforme même en violeuse pour l’accompagner dans une scène de triolisme qui, post-affaire Pélicot, passe encore plus mal. Surtout dans la mesure où elle ne fera probablement pas de vagues auprès du lectorat masculin.

Est-ce que j’ai trouvé l’histoire sombre ? Non, pas particulièrement. Est-ce que j’ai pris plaisir à descendre le Mékong sur un bateau ? Non plus. Est-ce que j’ai trouvé tout ça vain ? Oui, un peu. J’éprouve surtout un énorme sentiment de gâchis, parce que cette histoire d’auteur qui se découvre un double était prometteuse. Ça fleurait bon la SF, mais jusqu’à la fin, c’est laissé sur survolé. Le dénouement aurait pu être tellement plus magique si autant de temps n’avait pas été passé à regarder un auteur tourner autour de son nombril.

Pour ce qui est de la crise existentielle de l’auteur, dont il est question dans le livre, elle m’a souvent fait repenser à La Part des ténèbres de Stephen King. C’est très lointain dans ma mémoire, mais des sensations sont remontées à la surface au fil de ma lecture. Je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que j’avais déjà lu mieux sur le sujet.

Je fais donc partie de celles et ceux qui n’ont pas accroché. Et ce qui m’agace encore plus, c’est que d’autres titres de l’auteur me font envie, sur la base de leurs quatrièmes de couverture prometteuses. Shepard a intérêt à ne plus me décevoir !

Présentation de l’auteur : Infatigable voyageur ayant exercé mille métiers dans mille lieux différents, Lucius Shepard (1943-2014) est l’auteur d’une œuvre à la puissance exceptionnelle saluée par une kyrielle de prix littéraires, en France (le Grand Prix de l’Imaginaire à deux reprises) ou de l’autre côté de l’Atlantique (prix Hugo, Nebula, World Fantasy, ou encore le Locus huit fois en quinze ans). Stupéfiante odyssée au cœur des ténèbres, plongée dans les méandres d’un sud-est asiatique où résonne l’écho de toutes les transgressions, Le Livre écorné de ma vie est un récit virtuose, un éclat de littérature tranchant. (Le Bélial’)