Avis : Le Maître du haut château de Philip K. Dick

Présentation de l’éditeur : 1948, fin de la Seconde Guerre mondiale et capitulation des Alliés ; le Reich et l’Empire du Soleil levant se partagent le monde. Vingt ans plus tard, dans les États-Pacifiques d’Amérique sous domination nippone, la vie a repris son cours. L’occupant a apporté avec lui sa philosophie et son art de vivre. A San Francisco, le Yi King, ou Livre des mutations, est devenu un guide spirituel pour de nombreux Américains, tel Robert Childan, ce petit négociant en objets de collection made in USA. Certains Japonais, comme M. Tagomi, grand amateur de culture américaine d’avant-guerre, dénichent chez lui d’authentiques merveilles. D’ailleurs, que pourrait-il offrir à M. Baynes, venu spécialement de Suède pour conclure un contrat commercial avec lui ? Seul le Yi King le sait. Tandis qu’un autre livre, qu’on s’échange sous le manteau, fait également beaucoup parler de lui : Le poids de la sauterelle raconte un monde où les Alliés, en 1945, auraient gagné la Seconde Guerre mondiale…

Avis : Difficile de ne pas se sentir un peu mal à l’aise au premier abord face à l’idée de base du livre. Et si l’Allemagne et le Japon avaient gagné la guerre ? S’il n’y avait jamais eu Hiroshima et Nagasaki ? Si Hitler et Goebbels étaient encore en vie ? Le monde ressemblerait à ça, les juifs seraient toujours pourchassés et le spectre d’extermination de masse serait sans cesse élargi. Sans conteste, c’est un monde terrifiant à imaginer. Mais ça ouvre également la porte à une vaste quantité de questions qui pousse dès le départ le lecteur à s’interroger sur le monde qui l’entoure ; aussi bien dans la réalité que dans le livre et, ce, au même titre que les différents protagonistes de l’ouvrage lui-même. Là où l’histoire se révèle plus complexe et perverse, c’est qu’au sein même de cette uchronie s’en cache une deuxième. En effet, un certain Abendsen, le maître du haut château du titre, propose aussi sa vision du monde à travers son livre intitulé Le Poids de la sauterelle : « et si les Alliés avaient gagné ? » Le lecteur et les protagonistes se retrouvent donc à contempler un monde qui n’est pas le leur et à se demander comment les choses auraient pu être si les événements clés de l’histoire avaient été autres. Le point d’orgue réside bien sûr dans la conclusion abrupte du livre, volontairement ouverte, qui peut paraître vaine et laisser perplexe sur le moment. Il conviendra au lecteur de prolonger cet instant pour comprendre, ou pas, la véritable intention de l’auteur. Un questionnement intéressant sur ce qu’est la réalité, ce qu’est la fiction et éventuellement sur l’influence de la propagande et des superstitions sur notre perception du monde.

Toutes ces réflexions politiques et philosophiques doivent être devinées entre les lignes d’une histoire en apparence très plate. Les personnages monologuent beaucoup intérieurement, mais n’interagissent finalement pas beaucoup entre eux. Ils ont tous des parcours assez courts qui se résument en quelques lignes mais qui sont, en contrepartie, très enrichissants à titre personnel. Il ne s’agit pas d’un roman d’action, malgré des histoires d’espionnage et la possibilité d’une 3e Guerre mondiale qui planent, mais bien plus d’une œuvre introspective qui part dans beaucoup de directions en même temps, donnant une impression un peu brouillonne d’un auteur n’arrivant pas à opter pour une trame cohérente. En fait, il s’agit d’une multitude de sujets de réflexion qui s’offre au lecteur et qui s’élargit encore plus au point de devenir spirituelle s’il a en plus quelques connaissances sur la culture du Japon, le Tao et le fameux Yi King chinois.

Le Maître du haut château est sorti en 1962, année à laquelle se déroule l’histoire du livre ; à l’échelle d’une vie humaine, c’est le lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il y a encore des bases américaines au Japon, le mur de Berlin est tout frais. Tout cela est encore bien présent dans les esprits. Proposer une vision alternative si tôt pouvait paraître hasardeux mais le livre a rencontré le succès et devait certainement être encore plus perturbant à l’époque. Aujourd’hui, il reste un livre qui sait stimuler intellectuellement le lecteur prêt à jouer le jeu et restera un objet déroutant et indigeste pour les autres.

« Après avoir battu le Japon, les États-Unis gagnent une énorme influence économique, parce qu’ils bénéficient de l’énorme marché asiatique arraché aux Japs, mais ça ne suffit pas. Ils n’ont aucune spiritualité. Bon, les Britanniques non plus. Ce sont deux ploutocraties, dirigées par le fric. Si ces richards l’avaient emporté, ils n’auraient pensé qu’à une chose : faire encore plus d’argent. Abendsen a tort ; il n’y aurait pas eu de réforme sociale, de projets de sécurité sociale… les ploutocrates anglo-saxons ne l’auraient pas permis. »

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut