À la ligne. Feuillets d’usine de Joseph Ponthus

Quatrième de couverture : « Au fil des heures et des jours le besoin d’écrire s’incruste tenace comme une arête dans la gorge
Non le glauque de l’usine
Mais sa paradoxale beauté »

Ouvrier intérimaire, Joseph embauche jour après jour dans les usines de poissons et les abattoirs bretons. Le bruit, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps s’accumulent inéluctablement comme le travail à la ligne. Ce qui le sauve, ce sont l’amour et les souvenirs de son autre vie, baignée de culture et de littérature. Par la magie d’une écriture drôle, coléreuse, fraternelle, l’existence ouvrière devient alors une odyssée où Ulysse combat des carcasses de bœuf et des tonnes de bulots comme autant de cyclopes.

Avis : J’avoue que j’ai acheté ce roman sur un coup de tête, après avoir lu l’avis d’Émilie sur Instagram. Il y a des livres parfois qui, pour une raison que l’on ne s’explique pas, s’imposent à vous et déclenchent une pulsion. Celle-ci fut particulièrement vive. Aussitôt acheté, aussitôt lu. Et quelle claque !

S’il ne fallait recommander qu’un livre pour comprendre le travail en usine aujourd’hui, ce serait celui-ci. Ponthus est au plus près de la ligne, il en offre une description précise, explique la hiérarchie, la camaraderie, les plannings qui changent au gré des contrats d’intérim, la fatigue du matin, du jour, du soir, de la nuit, du week-end, les pauses clope-café minutées, les fêtes de fin d’année et ses flux tendus, les postes crevettes, bulots, tri de carcasses et nettoyage, et tant d’autres choses invisibles de l’extérieur. Et ça ne s’arrête jamais parce qu’il faut bien vivre quand le monde autour de l’usine ne veut pas de vos diplômes et de votre formation.

À la ligne, c’est l’histoire d’un intellectuel devenu précaire au pays de l’aliénation par le travail à la chaîne. Un paradoxe. Ses mots sont aussi poétiques que viscéraux pour décrire les tâches répétitives et vides de sens, la souffrance du corps dont on abuse et qui s’use, la souffrance de l’esprit qui est broyé au passage et l’absurdité de certaines situations aussi. À la violence du quotidien, il oppose la littérature, la chanson, la sociologie, l’humour même. Ses soupapes. Il ne dénonce rien, il se contente de montrer et de continuer à penser. Et il le fait de manière brillante et saisissante. Sans ponctuation, sans point et toujours à la ligne. Une forme particulière qui fait que les 270 pages se lisent presque d’une traite, presque sans reprendre son souffle.

Avec ce livre, avec ces anecdotes mises bout à bout, soir après soir, avec abnégation et fidélité, Joseph Ponthus aura construit sa cathédrale, l’œuvre d’une vie… hélas, au sens propre, puisque l’auteur est décédé en février 2021.

2 commentaires pour “À la ligne. Feuillets d’usine de Joseph Ponthus

  1. J’avais entendu parler, un peu, de ce livre et de son auteur. Je ne savais pas qu’il était mort. J’ai bien envie de le lire.

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