Le Mur invisible de Marlen Haushofer

Le Mur invisiblePrésentation de l’éditeur : Une catastrophe sans doute planétaire mais dont l’origine chimique ou nucléaire restera indéfinie va bouleverser l’existence d’une femme ordinaire. Elle se retrouve soudain séparée du reste du monde par un mur invisible au-delà duquel toute vie semble s’être pétrifiée durant la nuit.

Avis : Le résumé semble vendre une histoire post-apocalyptique comme il y en a beaucoup actuellement, à la nuance près que ce livre a été écrit au début des années 60 par une autrice autrichienne. Ce qui, en soit, pouvait suffire à intriguer. Rajoutez à cela une pléthore d’avis dithyrambiques, une moyenne d’un peu plus de 4/5 sur Goodreads et Babelio, une culture du secret pour ne pas dire ce qu’il s’y passe et un petit peu de féminisme pour saupoudrer le tout et vous obtenez un livre qu’il FAUT lire.

Maintenant que je l’ai lu et que je lui ai très généreusement mis 2/5, je peux prévenir. Pour la science-fiction, inutile de faire un détour, il n’y a strictement rien de développé. C’est juste une vague excuse qui aurait sans doute pu être remplacée par un échouage de bateau sur une île au milieu de nulle part. Il y a bien des moyens d’isoler totalement un être humain sur la planète, surtout à cette époque où la technologie n’était pas aussi développée. Donc non, point de SF.

Je vais aussi dissiper rapidement l’aura féministe du livre. Nous avons donc une femme seule qui apprend à survivre dans la nature. Il aurait pu s’agir d’un homme, les problématiques auraient été strictement les mêmes. Et l’héroïne présume que s’il y avait eu un homme avec elle, il aurait forcément été sur le canapé pendant qu’elle trimait dehors, donc qu’elle est bien mieux seule avec ses bêtes. C’est sûr qu’avec ce genre de préjugés, le travail d’équipe aurait été très mal barré. Mais l’hypothèse restera une hypothèse donc tout va bien.

Pour le reste, je suis perplexe devant l’engouement. J’ai l’impression d’avoir lu un livre qui décrit dans le détail (beaucoup beaucoup de détails) ce qu’est le travail paysan. Pas que ce soit inintéressant, mais il n’y a rien de bien neuf ici. Oui, le travail paysan, notamment des siècles passés, à une époque où on ne labourait pas les champs avec un guidage GPS, est un travail ingrat, éreintant, qui brise les corps et qui apporte peu en échange, mais dont on peut espérer vivre. C’est une vie simple, répétitive, cyclique, qui force à être à l’écoute de la nature. Si nous avons autant de dictons populaires impliquant l’observation de la nature, ce n’est pas pour rien. Donc, voilà, l’héroïne apprend à être une paysanne, c’est dur, c’est répétitif, c’est éreintant, ça brise le corps et, si tout se passe bien, elle peut espérer en vivre quelques années. Elle devient aussi bergère, travail solitaire par excellence. Même topo, rien de neuf.

Fallait-il vraiment 330 pages pour comprendre que sa seule raison de vivre maintenant, ce sont ses bêtes ? Qu’il n’y a strictement rien d’autre à sa portée pour la sauver de la folie, surtout maintenant qu’elle a écrit son histoire ? Peut-être est-on censé être hanté par le devenir de cette femme après la dernière page ? (Spoiler : nous sommes tous mortels.) Peut-être est-on supposé se poser la question : Et moi ? Que deviendrais-je à sa place ? Hélas pour moi, avec mon diabète, la messe serait dite en quelques jours et un mois au maximum. Difficile de m’impliquer vraiment dans ce récit donc. Il a toutefois le mérite de se lire vite, voire de pouvoir se survoler, puisqu’il y a peu de chance de passer à côté de quelque chose d’essentiel, à part dans les dernières pages. Sauf si vous avez peur de rater la deuxième récolte des haricots.

Pour finir, quelques remarques sur la postface tout à fait fantastique qui m’a rappelé quelques professeurs de français dont les explications hallucinées de textes m’ont toujours laissée dubitative. Je crois que le livre avait bien préparé le terrain, j’ai ri jaune en lisant l’interprétation à côté de laquelle j’étais soi-disant passée. Et, je ne parle même pas des corneilles… enfin, si.

Paru en 1963, le roman de Marlen Hausofer traduit les angoisses de l’escalade militaire dans le contexte de la guerre froide et la hantise de voir surgir de l’imagination et de l’industrie des hommes des armes susceptibles de détruire du jour au lendemain la terre entière.

Apparemment, nous sommes bien loin d’une quelconque référence aux structures sociales nazies qui se perpétueraient dans l’Autriche des années soixante ; si ce n’est que les corneilles évoquées vers la fin du récit y renvoient subtilement. Par la symbolique des couleurs. Nous lisons : « On devinait que le soleil se trouvait quelque part derrière notre monde enneigé, mais il ne parvenait pas jusqu’à nous. Les corneilles se tenaient pendant des heures immobiles sur les pins et attendaient. Leurs sombres contours aux larges becs, se détachant sur le ciel d’un gris-rose, avaient quelque chose qui m’émouvait. Vie étrangère et pourtant familière, sang rouge sous le noir plumage […] » – « Monde enneigé », sans rouge sous le noir plumage », mais aussi « ciel gris-rose » et « soleil » qui n’arrive pas à percer… Si l’évocation des coqs de l’Aliénation signalait la cruauté de la période hitlérienne, celle des corneilles l’atténue, la dilue en suggérant que toute l’Histoire, toute histoire humaine, est cruelle. Et elle entrouvre timidement la porte de l’espoir. »

Singulière corneille blanche, qui termine le roman sans le clore. Symbole religieux ? A n’en pas douter. Symbole mystique ? Pas exactement. Si Marlen Haushofer reprend le schéma biblique, c’est pour mieux lui tourner le dos. Le refuge de montagne rappelle certes le « Désert » où « loin du Serpent, la Femme doit être nourrie un temps et des temps et la moitié d’un temps, comme dit l’Apocalypse : la narratrice ne commence-t-elle pas sa relation au bout de deux ans et demi de réclusion solitaire ? Mais si « les oiseaux vont se repaître de sa chair », ils ne sont plus pour elle « toutes sortes d’oiseaux impurs et dégoûtants ». Elle fait de la corneille blanche sa nouvelle colombe, colombe bien imparfaite qui ne l’appelle pas, mais qu’elle rejoint en une démarche délibérée et qui, si elle est « l’esprit », n’est cependant pas « l’époux », « l’esprit et l’épouse disent : « Viens ! » », est-il écrit dans la Bible.

En résumé, la profondeur du livre est hors de portée de quiconque qui n’aurait pas lu la biographie de l’autrice avant, ses notes d’intention, le reste de sa bibliographie et choisirait d’extrapoler tout ça.

A l’instar de ce mur que l’on ne voit pas, le style est limpide, transparent. Palpitant, le livre « se dévore », à moins qu’on ne ménage, comme on le ferait d’un bon roman policier, des pauses destinées à faire durer le plaisir et reculer le plus possible l’instant du dénouement, le moment où, à la dernière page, l’énigme sera définitivement résolue. Précautions superflues, ô lecteur, car le livre ne te quittera pas. La transparence est obstacle, le malaise subsistera après le mot de la fin. Tu pourras t’appliquer à démontrer le mécanisme du récit récurrent, trouver dans ton dépit les ficelles un peu grosses, pousser la mauvaise foi jusqu’à dire que, finalement, mis à part dans les premières et dans les dernières séquences, il ne se passe rien, ou pas grand-chose, ou toujours la même chose… Ta critique exprimera ta frustration d’avoir achoppé devant l’irréductible.

Une façon judicieuse mais néanmoins insultante de signifier que si je dis que je n’ai pas aimé le livre, que je le trouve sans relief, que je vais sans doute l’offrir ou le revendre, c’est que je suis de mauvaise foi. Eh bien, soit. Il n’empêche que c’est beaucoup de pages pour vraiment pas grand-chose. Si je suis si énervée contre le livre, c’est parce que j’ai la sensation d’avoir perdu mon temps. Et, allez savoir pourquoi, ma première pensée en le refermant fut alors pour La Horde du contrevent d’Alain Damasio, auquel j’ai mis 5/5.

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