Comment l’amour empoisonne les femmes de Peggy Sastre

Présentation de l’éditeur : Les femmes ont acquis le droit de travailler, de voter, de faire ou non des enfants, de disposer de leur corps et de leurs ressources matérielles. Bref, la libération féminine a eu lieu. Sauf que, dans un monde qui traque les différences sexuelles empêchant les femmes d’atteindre, en proportions équivalentes aux hommes, les positions sociales les plus élevées, il est un élément qu’à peu près personne n’a la présence d’esprit d’interroger. Ce grand absent du débat, c’est le boulet amoureux. Cet essai jette un éclairage drôle et décapant sur la dépendance affective dont souffrent encore trop souvent les femmes. La question n’est pas d’opposer émancipation et amour, mais de comprendre ce que les sciences ont à nous dire sur la toxicité du surinvestissement amoureux.

Avis : Comment l’amour empoisonne les femmes. Du surinvestissement sentimental et des moyens d’y remédier.

Ce qui pourrait faire grincer des dents avec cet ouvrage, c’est qu’il va à contre-courant de ce qui se dit actuellement, en particulier dans les débats féministes et sur le genre. Ainsi, un certain nombre d’études (toutes listées à la fin de l’essai) tendent à prouver que beaucoup de nos comportements ne sont pas uniquement liés à une construction sociale qu’il suffirait de saper à la machette pour tout changer. Non, nous sommes avant tout des êtres biologiques avec une physiologie qui n’a pas beaucoup évolué dans le temps et nous n’y pouvons vraiment pas grand-chose. C’était déjà un constat du documentaire norvégien : Brainwashing. En l’occurrence, nous sécrétons un paquet d’hormones qui influencent naturellement notre rapport aux autres et au monde. Sérotonine, adrénaline, ocytocine, progestérone, dopamine. Tout est dans les hormones et les shoots associés dans le cas précis de la maladie d’amour dont parle Peggy Sastre. Pourquoi certains types d’hommes ont-ils toujours plus la cote auprès des femmes ? Pourquoi certaines femmes deviennent-elles des langues de vipères dès qu’elle se rendent compte que la voisine a un peu trop de liberté sexuelle à leur goût ? Pourquoi certaines mères se surinvestissent-elles auprès de leur enfant, repoussant le père vers le rôle de fournisseur de ressources, alors que ce couple se disait profondément égalitaire avant la maternité et pensait ne pas tomber dans le piège de la mère au foyer et du père au travail ? Pourquoi les femmes encore ont-elles un seuil de tolérance plus bas à la saleté que les hommes et font le ménage ? Tout ce qui est rattaché à la charge mentale qui a tant fait parler d’elle il y a quelque temps n’est en fait pas si simple à résumer qu’avec un « les femmes se tapent la double journée parce que les hommes ne veulent pas se sortir les doigts du cul ». A fortiori s’il y a un enfant dans le foyer, ce qui complexifie encore plus le ballet hormonal. Comme je suis moi-même dans le camp du ménage curatif, je ne vais pas jeter la pierre trop fort. Et enfin, pourquoi Valérie Trierweiler a-t-elle eu besoin d’écrire un livre pour exposer ses blessures de femme bafouée aux yeux de tous ? C’est donc un autre regard sur tout ça qu’offre Peggy Sastre. Un regard teinté de biologie et d’humour pour faire passer la pilule de la (presque) fatalité.

Mon grain de sel maintenant. Contrairement au reste du monde animal, nous sommes des animaux conscients d’eux-mêmes et en capacité de se penser. Certes notre nature biologique nous conditionne, mais il ne nous est néanmoins pas impossible de conscientiser cette influence, notamment en lisant ce livre qui explique nombre de mécanismes, et de trouver des parades pour forcer les choses. Un exemple concret. Combien de femmes sont victimes de leur syndrome pré-menstruel qui fait partir leur cerveau en cacahuète tous les mois pendant deux-trois jours ? Que se passe-t-il si ces femmes apprennent à détecter dès les premiers signes que quelque chose ne va pas et que ça n’est pas le monde autour qui leur en veut, mais bien leur perception qui a soudainement changé sous le flot d’hormones ? N’est-il pas possible alors que la raison leur suggère d’attendre un peu que ça se calme avant de prendre les armes ? Et surtout de prévenir l’entourage que ça va passer ? Bien sûr, faut-il encore avoir l’envie, le temps et surtout l’énergie de se pencher sur tous ces mécanismes complexes et de penser des réponses qui ne peuvent être qu’individuelles. Une sortie de la passivité et de la fatalité qui serait par ailleurs une solution au problème de « la maladie d’amour » au cœur de cet ouvrage.

Sastre interroge, à la toute fin : « Un dernier rappel : les principaux « intérêts » de l’amour au regard de l’évolution ont été d’améliorer le succès reproductif et l’investissement parental. Mais faire des enfants et s’assurer qu’ils puissent à leur tour perpétuer leurs gènes prend beaucoup moins de temps que ce que l’on peut aujourd’hui considérer comme idéal pour une vie à deux. Ce décalage, au cœur de bien des « maladies d’amour » contemporaines, pousse à se poser cette ultime question : en soignant ces dernières, aurons-nous seulement encore envie de nous reproduire ? » J’ai plutôt envie de tourner les choses dans l’autre sens justement. Tous ces raisonnements ne seront-ils pas mis à l’épreuve d’un changement de comportement des femmes conscientisées qui seront peut-être demain de plus en plus nombreuses à choisir de ne pas faire d’enfants pour des raisons qui leur appartiennent (même si je ne doute pas que ça restera marginal, la nature étant ce qu’elle est) ? Si la maternité et l’enfant ne sont plus au centre de la construction amoureuse, est-ce qu’on ne pourra pas la penser autrement et la vivre avec plus de « légèreté » ?

En passant, il est dommage que l’ouvrage, aussi étayé soit-il, ait la fâcheuse tendance à servir à régler des comptes avec une certaine catégorie de féministes ; des sarcasmes qui ne manqueront pas d’énerver la partie adverse et de continuer à envenimer les débats. Murakami en parle dans Underground, Sastre le mentionne quand elle traite des pathogènes, plus on tape fort sur un groupe, plus il se referme sur lui-même et dans ses convictions. Et c’est d’autant plus dommage que ça entache un propos et des démonstrations pourtant très intéressants.


Si la vérité rend libre au bout du compte, il n’est pas rare qu’elle nous fasse d’abord bien chier. (p. 74)

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