Une femme à Berlin : Journal 20 avril – 22 juin 1945

Quatrième de couverture : La jeune Berlinoise qui a rédigé ce journal, du 20 avril 1945 – les Soviétiques sont aux portes – jusqu’au 22 juin, a voulu rester anonyme, lors de la première publication du livre en 1954, et après. À la lecture de son témoignage, on comprend pourquoi. Sur un ton d’objectivité presque froide, ou alors sarcastique, toujours précis, parfois poignant, parfois comique, c’est la vie quotidienne dans un immeuble quasi en ruine, habité par des femmes de tout âge, des hommes qui se cachent : vie misérable, dans la peur, le froid, la saleté et la faim, scandée par les bombardements d’abord, sous une occupation brutale ensuite. S’ajoutent alors les viols, la honte, la banalisation de l’effroi. C’est la véracité sans fard et sans phrases qui fait la valeur de ce récit terrible, c’est aussi la lucidité du regard porté sur un Berlin tétanisé par la défaite. Et la plume de l’auteur anonyme rend admirablement ce mélange de dignité, de cynisme et d’humour qui lui a permis, sans doute, de survivre.

Avis :
Tout d’abord rendons à César ce qui est à César. S’il n’y avait pas eu la chronique de Juliette Arnaud fin novembre sur Inter, je serais passée à côté de ce livre.

Entre la 4e de couverture et cette chronique, que reste-t-il encore à dire ? Déjà, je n’ai pas voulu savoir avant et pendant ma lecture si l’auteur avait été identifiée, me doutant que oui, mais craignant de changer ma vision du récit en allant chercher l’information sur le net. J’ai voulu lire tout en ne sachant qu’une chose : ce témoignage est vrai. Il ne s’agit pas d’un outil de propagande ou d’un pamphlet politique ; il s’agit des mots d’une femme allemande érudite qui était à Berlin quand les Russes sont arrivés et qui a dû faire des choix pour survivre. Des choix sans doute critiquables pour ceux qui n’y ont jamais été confrontés, qu’il s’agisse des contemporains de l’auteur ou des générations suivantes, mais des choix pragmatiques, réfléchis, qui nous renvoient à notre propre histoire et invitent involontairement à s’interroger sur la réalité de la vie et des choix de toutes ses femmes qui ont été pointées du doigt à la libération en France. À la question : « Et vous, qu’auriez-vous fait à leur place ? », j’inviterais ceux répondant un peu trop catégoriquement à lire ce livre pour comprendre toute la complexité de certaines situations. Pour éviter d’être violée par tous les soldats passant sa porte, l’auteur a fait le choix d’aller offrir son corps au Russe de plus haut rang qu’elle pouvait trouver pour assurer une protection et un peu de nourriture aux gens de son immeuble et surtout à elle-même. Elle évita ainsi les viols collectifs, mais pas tous les viols, la destruction irréversible de son corps et sans doute la mort. Que pouvait-elle faire d’autre à partir du moment où elle était prise au piège et avait décidé de survivre ? Le pragmatisme l’emporte sur tout, il est dans ses choix, dans ses mots, dans son ton. Et impossible à condamner.

Ce livre est aussi une fenêtre sur l’histoire qui offre une vision brute d’une ville assiégée, des moments d’incertitude alimentés de rumeurs où la vie n’a plus de but et qu’il n’est plus possible de se raccrocher à rien. Peu importe qu’il s’agisse de Berlin, donc des perdants, il est ici question de la population civile, de ceux qui ne sont ni au front ni dans les quartiers généraux. D’ailleurs, il s’agit principalement des femmes laissées seules derrière avec les enfants et qui vont devoir subir les bombardements et gérer le passage des Russes (donc les viols et les pillages), puis leur départ, et le déblaiement de la ville. Tout ça en vivant sur de maigres et ponctuelles distributions de nourriture. Là encore, les mots de l’auteur font mouche, c’est immersif, c’est palpable, c’est captivant, c’est du très grand journalisme, même si ce n’était pas voulu, et la seule certitude tout du long, c’est que l’auteur a survécu. Corps et âme.

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