Un texte : Jeunesse éphémère

Le site Vampires & Sorcières a organisé en mai un petit défi d’écriture. Voici les deux sujets proposés :

Sujet n°1 :
Tout le monde n’a pas la chance d’être un fantôme… C’est bien beau d’être un vampire, un zombi ou un dragon, mais il faut malgré tout gagner sa pinte de sang, son cerveau juteux ou son coussin en pièces d’or.
Quel travail pourrait trouver une créature surnaturelle de nos jours, avec quelles difficultés aurait-elle à se débattre ?
Sujet n°2 :
Être au chômage ça craint, même pour une créature surnaturelle ! Imaginez l’entretien d’embauche que devrait passer un fantôme, une sorcière, un vampire, un loup-garou ou toute autre espèce, pour trouver un emploi.

Conditions : 
Votre nouvelle devra faire entre 2 et 4 pages word maximum (police times new roman 11). Vous pouvez rédiger à la première comme à la troisième personne, dans le genre que vous voulez, à l’époque que vous voulez, bref vous faites ce que vous voulez !


Exceptionnellement, j’ai eu une idée, j’ai donc tenté ma chance. Voici le résultat :

Jeunesse éphémère.

Je m’en souviens encore comme si c’était hier. Toute la presse mondiale en a parlé cette semaine-là. « Une nouvelle cure de jouvence ? », lançait le HuffPost. « Du sang jeune pour booster les vieux cerveaux », précisait BFMTV. Tout a changé le 4 mai 2014, date de la publication dans Nature d’une étude sur la transfusion de sang de jeune souris chez leurs aînées. « Nos données démontrent que l’injection de sang jeune contrecarre le vieillissement au niveau moléculaire, structurel, fonctionnel et cognitif de l’hippocampe ». Ah ça, croyez-moi, l’information n’est pas tombée dans l’oreille d’un vieux sourd.

À partir de là, les choses sont allées très vite. Vous imaginez bien que ce sont ceux qui ont le plus d’argent qui veulent en profiter le plus longtemps possible, et si possible avec toute leur tête. C’était couru d’avance ; ils ont investi en masse dans la recherche pour s’assurer que ce qui était valable pour les souris l’était bien pour l’homme. Jamais étude clinique n’aura pris si peu de temps. Enfin si, celle sur le contrôle de la télomérase aussi a été relativement rapide, mais ça représentait plus de boulot. Les investissements étaient sans comparaison. Cela dit, ce n’est pas moi qui vais me plaindre. S’il n’y avait pas eu le 4 mai 2014, je n’aurais certainement pas le job en or que j’ai aujourd’hui.

La suite a été plus délicate. Dans un premier temps, ils ont cherché à généraliser la monétisation du don de sang. Beaucoup de pays comme la France avaient encore des textes officiels qui décrétaient que « le sang ne peut être source de profit financier ». Les relations privilégiées des riches et des politiques ont rapidement eu raison de ces quelques bâtons dans les roues locales. Voyez, tout le monde était gagnant : les vieux achetaient le sang aux jeunes et les jeunes étaient payés – juste ce qu’il fallait pour les faire revenir régulièrement. Deux flux se croisaient, l’argent circulait. Le nombre de dons a pulvérisé tous les records de l’histoire de la transfusion à cette période. Malheureusement, personne n’avait pris en compte un facteur non négligeable : les jeunes sont cons. Mais cons ! Vous n’avez pas idée. Que croyez-vous qu’ils ont fait avec tout ce fric ? Hein ? Pourquoi bosser quand il suffit de donner un peu de soi ? Ils se sont donc mis à s’amuser ! Alcool, drogues, sexe – et qui dit sexe, dit MST, vous savez, le SIDA, les hépatites, etc. 24h sur 24, 7 jours sur 7. Et bruyants en plus de ça. Une vraie nuisance. Non seulement leur sang est devenu totalement inutilisable, mais eux, ces abrutis transpirant la connerie par tous les pores, étaient maintenant une charge pour la société. Une génération entière bonne à foutre à la poubelle. Pardon, je m’emballe. Ne pleurez pas, voyons. Ce n’est pas contre vous. Vous, vous êtes quelqu’un de bien. Vous le savez, n’est-ce pas ? Là, n’ayez pas peur, je ne vous veux aucun mal. Vous m’êtes trop précieuse. Chuuut.

Où en étais-je ? Ah oui. Et les « entre-deux », comme on dit, me demanderez-vous ? Les pauvres entre 23 et 60 ans quoi. Ils ont cru pouvoir se révolter contre le système. « Pour protéger leurs enfants », disaient-ils. À mon avis, c’était surtout pour protéger leur retraite et leurs vieux jours, mais passons. On aurait pu s’attendre à un peu mieux de leur part quand même. Ils étaient en situation de précarité, et ils auraient logiquement dû être trop occupés à survivre un jour de plus pour penser à leurs enfants. Coca-Cola faisait le reste depuis que la télévision servait à vendre du temps de cerveau disponible. Mais non, une révolte, une révolution. Genre !

À qui a profité le chaos, d’après vous ? Aux riches, bien sûr. Encore une fois, Saint-Fric nous a sauvés. Saint-Fric, priez pour nous. Les milices privées, il n’y a que ça de vrai, croyez-moi. Les milices ont réglé deux problèmes d’un coup : le cas des adultes les plus rebelles et la surpopulation mondiale. Et vous voulez que je vous dise ce qui était encore plus beau ? Non ? Pourtant c’est intéressant, je vous assure. D’un côté, il a fallu gérer un sacré paquet d’orphelins dont les parents avaient été massacrés et de l’autre, attention, certains sont venus les vendre volontairement ! Ça a été le début de l’opération : un enfant – un gros chèque. Les états se sont retrouvés en quelques mois avec un stock d’enfants et d’adolescents libres de droits.

Vous avez probablement entendu parler des saumons de Norvège. La notion de productivité vous est peut-être même familière. Les gens aimaient vraiment beaucoup la chair rose du saumon. En plus, on leur disait que c’était bon pour la santé, qu’il fallait en manger pour faire le plein d’oméga-3. Face à la demande croissante, l’industrie a, comme toujours, cherché à optimiser la production. Des grands bassins fermés, des alevins, des granulés pour nourrir tout ce petit monde, des pesticides pour lutter contre les poux et une bonne dose d’antibiotiques parce qu’on n’est jamais trop sûr. Le système était bien rodé et il aura fallu un moment avant que les autorités sanitaires y mettent le nez. Elles ont trouvé un cocktail de neurotoxines, métaux lourds, mercure, dioxine dans les poissons. Bon pour la santé… Mouais. Peut mieux faire. Je vous rassure, aujourd’hui, il n’y a plus que du saumon sauvage de première qualité sur le marché. Plus besoin de payer une fortune pour en déguster, c’est le seul disponible. Il arrive à l’homme de réfléchir parfois.

Vous entrapercevez la suite, n’est-ce pas ? La société avait donc ce stock d’« alevins » sur les bras dont il fallait faire quelque chose. Soudain, quelqu’un s’est dit que l’homme et le saumon avaient beaucoup plus en commun qu’on ne pouvait l’imaginer. Ainsi est apparue une espèce bien particulière : l’humain d’élevage. 100% élevé en batterie. Jusqu’à 13 ans, il grandit, on le laisse tranquille. Puis de 14 à 18 ans, il se reproduit à loisir. De toute façon, il n’a pas grand-chose à faire d’autres de ses journées et il faut penser à reconstituer le stock. À partir de 18 ans, on le siphonne. À 23 ans, il est recyclé. Aucune chance que vous ayez vu Soleil vert, vous êtes beaucoup trop jeune. Il ne vaut peut-être mieux pas cela dit. Regardez-moi dans les yeux un instant. Arrêtez donc de remuer la tête comme ça, je ne voudrais pas laisser de marques sur votre joli visage. Voilà. Soleil vert, vous n’en avez jamais entendu parler. Parfait. Reprenons.

Le problème… L’homme réfléchit parfois. Certes. L’homme a surtout une propension certaine à refaire les mêmes erreurs. Encore et encore et encore. Les jeunes issus de ces fermes ne sont pas aussi bons pour la santé des vieux qu’on le disait. Il faut lutter en permanence contre les poux, les épidémies, l’automutilation – si vous avez l’estomac bien accroché, je vous montrerai les photos, elles font vraiment mal au cœur. La consanguinité était un souci majeur aussi, mais pour ça, il y a maintenant des programmes d’échanges entre fermes du monde entier. Le métissage a même le mérite de produire de beaux produits. Ça reste néanmoins un produit d’élevages réservé aux plus « pauvres ». Même si les riches se sont débarrassés des pauvres, il y aura toujours quelqu’un de plus pauvre et quelqu’un de plus riche. C’est mécanique. C’est sans fin. Les riches-nouveaux pauvres (quelle ironie !) se nourrissent donc à partir d’humains d’élevages, et les riches vraiment très riches ont les moyens de se payer mes services.

Ou ceux de mes collègues d’ailleurs. Nous nous sommes rendus indispensables et, parallèlement, c’est devenu un milieu très concurrentiel et dangereux au fil des années. Car, voyez-vous, c’est du grand art de mettre la main sur des gens comme vous. Loin de moi l’idée de m’envoyer des fleurs, mais il faut un vampire talentueux comme moi pour y arriver. Bien sûr vous connaissez l’existence des vampires, sinon vous ne seriez pas en liberté à votre âge. Quelqu’un vous a appris à échapper à la traque, et même à vous défendre peut-être. Mais le boulot a été mal fait de toute évidence. Je vous ai senti de tellement loin, j’avais hâte de vous goûter pour m’assurer de la qualité de la marchandise. La chasse a été bonne, vous êtes parfaite.

Je vois poindre une question dans votre esprit. Pourquoi ? Oui, pourquoi vous chasser, vous, alors qu’il me suffirait d’offrir la vie éternelle à quelques riches en échange d’un gros chèque ? Si les choses pouvaient être si simples, ce serait merveilleux. Taux de survie au grand saut ? Inférieur à 1 pour 100 000 000. Autant dire qu’il vaut mieux jouer à l’Euro Millions et espérer devenir un nouveau riche et pouvoir se payer les traitements antisénescences dernier cri.

Hmmm. Pourquoi je vous raconte tout ça déjà ? Ah oui, je me souviens. Désolé, je suis tellement bavard. Mais il fallait que vous compreniez votre valeur. La valeur de votre vie aux yeux de mes employeurs. Car vous êtes un saumon sauvage. Un produit de première qualité. Vous ne connaissez pas les fermes. Vous avez eu la chance d’avoir des parents qui vous ont aimé au point de vous cacher toute votre courte vie et de vous protéger des dangers de ce monde. Vous avez connu le grand air, vous avez reçu une petite éducation, vous avez même dû courir pour survivre. Vous êtes naturelle. Et vous êtes vierge. 18 ans et toujours vierge. C’est si rare de nos jours. Un dégénéré aurait pu vous tomber dessus depuis longtemps, il en reste encore trop. Plus de souci à vous faire maintenant, vous allez être bichonnée pendant 5 ans. À vous le luxe, le calme et la volupté. Petite chanceuse.

Allez, venez, ne faisons pas attendre mon client, la limousine blindée et son escorte sont arrivées. Ce serait dommage qu’un concurrent puisse mettre la main sur vous maintenant. Surtout pour moi. Certains n’ont aucun respect pour le travail des confrères, si vous saviez. En tout cas, vous venez de me payer une année sabbatique à me tourner les pouces. Les vierges ont toujours eu beaucoup de succès. Une vieille amie, qui a mal fini, me le disait déjà au XVIe. Ah, Elizabeth. Elle avait tout compris avant tout le monde. L’avenir est dans le sang des jeunes.


Quelques liens qui m’ont inspirée, m’ont permis d’étoffer un peu et vous permettront d’aller plus loin si vous le souhaitez :
Lutte contre le vieillissement: une étude teste la transfusion de sang jeune chez les souris, Huffpost, 5 mai 2014
Le sang de jeunes souris aurait un effet revigorant sur des souris plus âgées, Le Monde, 5 mai 2014
Du sang jeune pour retarder le vieillissement, L’express, 5 mai 2014
Du sang jeune pour booster les vieux cerveaux : efficace sur les souris, BFMTV, 6 mai 2014
Young blood reverses age-related impairments in cognitive function and synaptic plasticity in mice, Nature, 4 mai 2014
Les saumons d’élevage norvégiens sont dangereux, Le Matin, 23 novembre 2013
Faut-il avoir peur du saumon d’élevage norvégien ?, notre-planète.info, 30 novembre 2010
L’aquaculture marine et ses dynamiques. L’exemple de la salmoniculture Norvège, Chili : caractéristiques de deux modèles, Geoconfluences, 10 février 2012
La télomérase : la protéine de l’immortalité ?, Doctissimo.

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