Les Monades urbaines de Robert Silverberg

monadesQuatrième de couverture : En cette année 2381, la Terre ne compte pas moins de soixante-dix milliards d’êtres humains. Leur devise : croissez et multipliez. Dans la plus totale liberté sexuelle. La plus grande confiance aussi, puisque ces hommes et ces femmes connaissent la paix, la sécurité. Le bonheur en un mot. L’utopie est devenue réalité.
…La réalité des monades urbaines — ces tours de mille étages, que leurs habitants ne quittent jamais, où une technologie souveraine a su tout programmer, automatiser, maîtriser.
Et pourtant, le grand électronicien Micael rêve en secret. De cet océan, de ces pyramides, de ces paysages colorés qu’un film vieux d’un siècle lui a révélés…
Et pourtant Jason, l’historien, qui n’a que mépris pour les anciens tabous sexuels, découvre en lui une pulsion inconnue, sauvage : la jalousie…

Avis : Après un monde dépeuplé à repeupler, un monde à la dénatalité galopante qui tente de se repeupler, un monde à la population régulée, voici celui où la population n’est pas contrôlée du tout. « Croissez et multipliez« , disait Dieu. Eh bien, les hommes l’ont pris au pied de la lettre. Ils croissent et se multiplient, et c’est même devenu le leitmotiv de toute une civilisation. Contrairement à beaucoup de récits d’anticipation qui tendent à proposer des solutions pour éviter la surpopulation, ici, c’est l’opposé : tout est fait pour s’en accommoder. La surpopulation n’est pas un problème, c’est juste une question organisationnelle. A la verticale, grimpant jusqu’au cieux, de gigantesques tours de 3000 mètres de haut pouvant contenir jusqu’à près de 900 000 habitants chacune. A l’horizontale, au ras du sol, des terres agricoles à perte de vue pour subvenir aux besoins de ceux des tours. L’équilibre semble trouvé et il y a même de la marge pour l’avenir. Croissez et multipliez sans vous posez de questions.

N’est-ce pas cela la pire des répressions, interdire de vivre à des êtres humains ? (p99)

Vivre pris au sens propre, et pas figuré. La vie qui passe par une liberté sexuelle absolue, car le sexe est encore indissociable de la procréation. Si l’une est encouragée, l’autre l’est aussi de manière mécanique. La société des monades est libérée de tout tabou, tous les arguments et les pratiques sont bons pour procréer toujours plus. Certes les gens continuent de se marier pour former la plus petite structure sociale essentielle : la famille, mais la fidélité ne fait plus partie des 4 piliers. Tout le monde est à la disposition de tout le monde. Dehors l’intimité, dehors la jalousie, dehors l’exclusivité. Ça a même le mérite d’assurer une certaine paix sociale en évitant pas mal de « mauvais » sentiments, et donc de dérives.

Mais c’est justement là que les choses se compliquent. Contrairement à La Servante écarlate, ici la solitude n’existe pas. Au contraire, elle vient à manquer. On doit vivre, mais on en peut pas vivre. C’est le sens figuré qui vient à poser problème. Malgré les purges pour éliminer les anomos, ceux qui échappent au moule et qui seraient susceptibles de troubler l’ordre public, malgré les concerts censés distraire les masses, malgré les drogues, les thérapies, les reconditionnements, malgré tous les artifices, certains ont encore des poussées d’individualisme. Le besoin d’être seul, le besoin de ne pas faire comme tout le monde, le besoin de sortir pour découvrir le monde hors de la monade qui prend alors la forme d’une prison, le besoin de se demander comment c’était avant et comment ça pourrait être autrement. Autant de remises en question pour autant de courts chapitres qui présentent les différents aspects de la vie dans la monade en s’appuyant sur les trajectoires de plusieurs personnages qui se croisent et se recroisent. Des parcours souvent dramatiques qui révèlent l’envers du décor et témoignent de la claustrophobie ambiante, de cette perte d’individualité étouffante, même pour le lecteur.

L’ouvrage est court, à peine 250 pages, mais dresse avec beaucoup d’efficacité le portrait d’une société qui peut difficilement faire rêver. Vivement conseillé pour visiter un futur encore différent.

Il sait d’une façon approximative quels seraient les sentiments d’un voyageur venu du temps devant Monade Urbaine 116, par exemple : une sorte d’enfer où s’entassent des vies atrocement étriquées et barbares, où toute philosophie civilisée est irrémédiablement basculée, où la prolifération démographique est diaboliquement encouragée pour obéir à on ne sait quel incroyable concept d’une déité éternelle réclamant toujours plus d’adorateurs, où tout refus est formellement interdit et les dissidents impitoyablement détruits. (p97)

– C’est tellement personnel. Le sentiment d’être à part, dit Siegmund. D’être séparé de mes propres racines.
– Quoi ?
– Une sorte de déracinement. Comme si je n’appartenais plus à Shangai, ni à Louisville, ni à Varsovie – comme si je n’appartenais plus à rien. Comme si je n’étais que la somme de mes ambitions et des inhibitions, sans personnalité réelle. Je suis perdu intérieurement.
– Intérieurement ?
– A l’intérieur de moi-même. A l’intérieur de ce bâtiment. J’explose. Je disperse un peu partout des fragments de moi. Des lambeaux de ma peau flottent… (p227)

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