Le Soupir de l’immortel d’Antoine Buéno – Version Courte

Initialement publié sur Onirik.net le 9 juillet 2012.

Quatrième de couverture : L’an 570 après Ford. Le monde est enfin durable et uniformisé. Plus de crise environnementale, plus de guerre, plus de misère. La planète est devenue un Éden ultralibéral, une jungle luxuriante d’humains bigenrés.
Tout ne va pourtant pas pour le mieux. L’immortalité se paye au prix fort.
Entre une histoire d’amour impossible, une enquête policière déconcertante et un complot politique odieux, Le Soupir de l’immortel est un spectaculaire roman d’anticipation, foisonnant et déjanté.

Antoine Buéno est un touche-à-tout au parcours atypique : chargé d’études au Sénat, enseignant, chroniqueur, écrivain prospectiviste et essayiste à qui il arrive même de se donner en spectacle sur scène. Il a surtout fait parler de lui en 2011 avec son Petit livre bleu : analyse critique et politique de la société des Schtroumpfs. De cet essai, qui a déchaîné les polémiqueurs et les médias, se dégage notamment une chose : l’auteur aime s’amuser à mêler sérieux et humour pour réveiller son lectorat, même si visiblement tout le monde n’est pas toujours sur sa longueur d’onde. Sorti plus discrètement en 2009, Le Soupir de l’immortel est un livre d’anticipation ambitieux qui aborde des thèmes bien plus graves, mais toujours avec cette arrière-pensée de titiller les méninges en usant bien volontiers d’un brin d’humour parfois très caustique.

En situant son action plus de 450 années dans notre futur (570 après Ford correspond à 2478 pour nous), l’auteur se donne suffisamment de latitude pour apporter un certain nombre de changements majeurs à notre société tout en faisant le choix de conserver en contrepartie un cadre très familier puisqu’il s’agit d’un Paris que les habitués reconnaîtront sans peine. Les humains sont maintenant bisexués et immortels, protégés de la plupart des aléas de la vie par la Sécurité Sociale qui n’a jamais mieux porté son nom. À plus grande échelle, la surpopulation est totalement canalisée grâce à un numerus clausus qui équilibre morts accidentelles, suicides illégaux et départs pour l’espace d’une part, et les naissances en couveuses de l’autre. Plus de guerre, plus de crise énergétique, plus de crise alimentaire, plus de dérèglement climatique, plus de maladies. L’homme peut enfin se concentrer sur son épanouissement personnel et son « élévation spirituelle ». Les apparences d’un monde meilleur sont bien entendu trompeuses, sinon il n’y aurait rien à raconter. Tous ces progrès ont fait émerger de nouveaux problèmes et surtout de nouvelles dérives parfois terrifiantes ; ajouté au fait qu’il y a malgré tout des choses qui ne changent pas avec le passage des siècles, et voilà comment faire en sorte que le lecteur ne regarde pas simplement cette vision du futur avec curiosité, mais se demande quelles décisions d’aujourd’hui pourraient y mener.

Porté par une enquête policière, une intrigue politique et une histoire d’amour, le livre prend rapidement la forme d’un gigantesque patchwork fourmillant de détails qui aborde chapitre après chapitre toutes les facettes de ce monde si nouveau et pourtant si familier. Mais Le Soupir de l’immortel n’est pas qu’une réflexion sur le futur, c’est aussi un objet à l’écriture extrêmement travaillée qui rend hommage à quelques piliers du genre, Huxley en tête, en leur empruntant des éléments de leurs propres univers pour se construire. À l’évidence, Antoine Buéno n’est pas seulement un amateur de Science-fiction, mais également un amoureux des mots. Il joue avec, il les manipule habilement pour leur faire décrire une réalité qui arrive alors à être en complet décalage avec elle-même. Il en ressort une œuvre enrichissante intellectuellement et émotionnellement qui ne fait pas qu’interroger le lecteur sur le monde qui l’entoure et sur celui qui l’attend, mais l’emporte aussi parfois dans des envolées poétiques troublantes et des moments d’intense jubilation incontrôlable.

S’il fallait lui faire une critique, juste histoire de, ce serait pour souligner un petit problème de rythme, notamment sur la fin, peut-être en partie dû à certains personnages principaux dont les histoires ont tendance à être occultées par la forme et la profondeur des idées développées. Certains reprocheront sans doute à l’auteur un abus de références, mais l’ensemble finit par être tellement cohérent que le plaisir de la lecture n’est en rien entaché. Bien au contraire.

Yal Ayerdhal, lors de la conférence sur la SF qui s’est tenue à Épinal cette année, a dit ceci :

« La science-fiction est la seule littérature qui a succédé au rôle que les philosophes se donnaient jusqu’à la fin des années 20. Les auteurs de science-fiction ont réellement pris en charge le devoir de réfléchir l’humanité dans ce qu’elle était et dans la projection de ce qu’elle pourrait être. »

C’est précisément ce qu’Antoine Buéno fait avec son livre. D’une densité indiscutable, Le Soupir de l’immortel est une réflexion poussée sur l’avenir de l’humanité qui ne laisse rien au hasard et offre une multitude de pistes de lecture en abordant des thèmes très variés : politique, économie, amour, sexe, thriller, philosophie, sociologie, technologie, religion, etc. En tant qu’écrivain prospectiviste, il ne se contente pas d’imaginer un futur, il le construit à partir de notre présent en tenant compte des problèmes qui se poseront dans les années à venir et qui sont bien loin d’être totalement hypothétiques. Et la cerise sur ce gâteau en apparence très sérieux et au style recherché, c’est cet humour tout à fait irrésistible et souvent déroutant qui accentue l’impression d’avoir entre les mains un objet littéraire non identifié qui mérite grandement le détour et dont la véritable richesse ne se révélera probablement pas au terme de la première lecture. En espérant que l’auteur ne s’arrêtera pas en si bonne route.

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