La Vie invisible d’Addie Larue de V.E. Schwab

Présentation de l’éditeur : Une vie dont personne ne se souviendra… Une histoire que vous ne pourrez plus jamais oublier… Une nuit de 1714, dans un moment de désespoir, une jeune femme avide de liberté scelle un pacte avec le diable. Mais si elle obtient le droit de vivre éternellement, en échange, personne ne pourra jamais plus se rappeler ni son nom ni son visage. La voilà condamnée à traverser les âges comme un fantôme, incapable de raconter son histoire, aussitôt effacée de la mémoire de tous ceux qui croisent sa route. Ainsi commence une vie extraordinaire, faite de découvertes et d’aventures stupéfiantes, qui la mènent pendant plusieurs siècles de rencontres en rencontres, toujours éphémères, dans plusieurs pays d’Europe d’abord, puis dans le monde entier. Jusqu’au jour où elle pénètre dans une petite librairie à New York : et là, pour la première fois en trois cents ans, l’homme derrière le comptoir la reconnaît.

Note : SP lu pour le compte de RCS.

Avis : Ce qui est étonnant, à relire la présentation après avoir dévoré le livre, c’est qu’elle résume les 200 premières pages… sur les 700 que compte l’ouvrage, et, en même temps, elle ne résume rien. Car ce qui fait la richesse et l’étrangeté de ce roman, ce n’est pas le résumé que l’on peut en faire, mais la façon dont on le vit intimement. L’histoire en elle-même est simple et très inspirée du mythe faustien : une jeune femme désespérée vend son âme à un démon et passe le reste de sa vie à tout faire pour reculer le moment où elle devra la lui céder. 200 pages, ça peut paraître beaucoup pour atteindre cette fameuse rencontre qui met véritablement l’histoire en route, mais elles sont aussi absolument nécessaires et se lisent même presque d’une traite.

V.E. Schwab a choisi de scinder la narration en deux et d’alterner sans arrêt entre passé et présent. Ce qui permet de découvrir comment Addie a appris progressivement à composer avec son nouveau mode de fonctionnement, et avec le recul, comment elle a réussi à se construire un semblant de vie dans les limites qui lui ont été données. Ce qui éprouve le plus le lecteur, ce n’est pas tant la vie précaire d’Addie, en particulier dans les premières années, c’est surtout l’absence totale de traces qu’elle laisse dans les esprits des gens qu’elle côtoie parfois pendant des mois. Pourtant, malgré cette solitude profonde dans un monde sur lequel elle n’a presque pas prise, elle continue de trouver des raisons de vivre, là où beaucoup d’entre nous auraient laissé tomber depuis longtemps. Ainsi, elle compense avec une soif intense de connaissances, une curiosité permanente et des histoires d’amour à sens unique qu’elle recommence en boucle jusqu’à atteindre la lassitude. Ses uniques compagnons au long cours sont la solitude et le démon, seul être à se souvenir d’elle et qui aime à le lui rappeler dès que possible. Presque tous les ans, à la même date anniversaire, comme un compte à rebours sans fin, leur ballet recommence, chacun essayant de mener la danse entre séduction, coups de colère et joutes verbales savoureuses.

Plus l’histoire avance et plus elle prend aux tripes et étreint le cœur. C’est à ça qu’ont servi toutes ces pages et tous ces va-et-vient dans le temps. À établir un rythme et à donner une tonalité, à apprendre à vraiment connaître le personnage d’Addie, à apprécier cette intelligence et cette force qui nourrissent ses pulsions de vie, à comprendre les rouages de la malédiction contre laquelle elle ne cesse de se battre en en débusquant la moindre faille. Mais il faut aussi toutes ces pages pour que la malédiction impose son poids sur le lecteur et le pénètre au plus profond de lui-même. Alors, quand la rencontre avec cet homme qui la reconnaît se produit, héroïne et lecteurs ont la tête qui tourne et retiennent leur souffle.

Ce qui tient ensuite le lecteur captif, c’est à la fois l’espoir né de cette histoire d’amour à la réciprocité salvatrice, mais aussi l’incertitude du sort réservé à Addie. Car cela a bien été établi à de multiples reprises : le démon sait être cruel et il saura toujours imaginer les pires manigances pour obtenir son âme. Le lecteur ne cessera alors, durant 500 pages, d’osciller entre l’espoir et l’inéluctabilité. Bien sûr, en étant attentif, il est possible de deviner une partie de la fin, d’anticiper la profondeur de l’œuvre que l’on tient entre les mains, mais est-ce la fin qui compte vraiment ? Ou est-ce le chemin que l’on a parcouru pour y arriver ? N’est-il pas plus important d’être surpris au détour d’une page par la poésie du moment, d’être émerveillé et de vivre des instants suspendus dans le temps ? Et que dire des questions profondément philosophiques et existentielles soulevées au fil des pages qui invitent à s’interroger sur le sens de la vie, sur ce qui compte vraiment, sur la mort (la sienne et celle des autres), l’identité, l’existence, le temps qui passe et ce que l’on en fait ?

Le livre ne séduira pas tous les lecteurs, car il demande d’adhérer à son ton lancinant et mélancolique, à sa lenteur et à la répétition des anniversaires, année après année, avec toujours la même demande à la clé : Cède-moi. Il demande d’apprendre à aimer des personnages qui ne se livrent pas en quelques lignes, mais en plusieurs dizaines de pages. Mais encore une fois, tout cela est nécessaire pour que chaque moment d’émerveillement saisisse, que chaque battement du cœur amoureux emballe et que l’espoir palpite. Si le livre vous parle, s’il vient vibrer sur les bonnes cordes en vous, alors il pourrait bien vous arracher quelques larmes à la fin. Ce fut dur de le refermer et de laisser repartir Addie, mais, paradoxalement, ce n’est pas une histoire qui appelle à être relue. La Vie invisible d’Addie Larue est une expérience de lecture unique, qui ne pourra pas être vécue une seconde fois aussi fortement, aussi vivement. Comme beaucoup de choses dans une vie.

Un mot rapide sur l’objet-livre tout de même, car il faut souligner le soin particulier apporté à l’édition française. Hormis la première de couverture qui présente un portrait de l’héroïne en noir et blanc, le livre est entièrement blanc. Rien sur le dos, rien sur la quatrième. Pas un mot n’y apparaît. Ce qui donne tout son relief à l’ouvrage est la jaquette en papier calque entièrement sombre, sauf là où elle vient se superposer au portrait. Le blanc rend alors visible le visage d’Addie par transparence et lui donne une aura fantomatique très à propos.

Mais j’aime l’idée d’être une idée ! dit-elle. Tu ne trouves pas que c’est quelque chose d’incroyable ?

(p. 417.)

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