Les Portes du néant de Samar Yazbek

Quatrième de couverture : Figure de l’opposition au régime de Bachar al-Assad, Samar Yazbek est contrainte de quitter son pays tant aimé en juin 2011. Depuis son exil, elle ressent l’urgence de témoigner. Au mépris du danger, elle retourne clandestinement dans son pays, en s’infiltrant par une brèche dans la frontière turque. Trois voyages en enfer dans la région d’Idlib où elle vit de l’intérieur l’horreur de la guerre civile, aux côtés des activistes. Des premières manifestations pacifiques pour la démocratie, à la formation de l’Armée syrienne libre, jusqu’à l’émergence de l’État islamique, Samar Yazbek livre un témoignage courageux sur le quotidien des combattants, des enfants, des hommes et des femmes ordinaires qui luttent pour survivre. Elle dit l’odeur de la terre après l’explosion d’une bombe, l’effroi dans le regard des mères, les corps mutilés ; elle dit l’une des plus grandes tragédies du XXIe siècle.

Avis : Quel gigantesque merdier ! Il n’y a pas d’autres mots pour qualifier la situation en Syrie. Et encore, ce livre relate la situation en 2012 – 2013 dans le nord du pays, dans la région de Saraqeb. Ce n’est qu’un aperçu de la situation après le printemps arabe sévèrement réprimé par el-Assad et c’est déjà si compliqué et si pessimiste pour l’avenir. Écouter les informations en France qui parlent de « rebelles » et lire ce livre, c’est faire le grand écart. La masse des rebelles se découpe en des dizaines de sous-groupes ou de bandes armées qui ne s’entendent pas tous entre eux et qui ne veulent pas les mêmes choses. Et au milieu du chaos, il y a tous les combattants venus de l’étranger, sentant une situation à leur avantage, pour rejoindre l’État islamique. La population syrienne n’est plus à l’heure actuelle. Elle a fui (un quart de sa population a quitté le pays), elle se terre, elle est mutilée, elle a été massacrée. Lire les témoignages recueillis dans ce livre, c’est se confronter le cœur au bord des lèvres à l’horreur, à l’injustice, à la complexité d’une situation inextricable sans sortie de crise viable et envisageable dans un proche avenir.

J’ai retrouvé ici le profond sentiment de dégoût du spectateur impuissant qui assiste à un massacre que j’avais déjà éprouvé à la lecture des Passeurs de livres de Daraya. J’ai beau savoir que la géopolitique, c’est compliqué, que les interventions de la communauté internationale dans ce genre de conflits, ce n’est pas simple, notamment à cause des soutiens extérieurs au régime (les Russes pour ne citer qu’eux), que l’ingérence même pour le bien n’a pas que du bon, mais là, à lire toute cette souffrance, tout ce désespoir à constater que personne ne viendra aider les civils, je ne peux qu’avoir la gorge serrée et avoir honte. Aujourd’hui, en 2018, le massacre continue. Delphine Minoui l’annonçait déjà dans les Passeurs, Idlib est le dernier bastion des « rebelles », mais c’est aussi 3 millions de civils… Le cœur au bord des lèvres…

Les Portes du néant, même s’il date, reste d’actualité pour comprendre les prémisses d’une catastrophe humanitaire sans précédent. C’est un livre qui provoque des émotions fortes, des émotions désagréables, qui raconte l’horreur sans détourner les yeux. À lire pour avoir au moins la sensation de ne pas être totalement dupe.


J’ai eu l’impression qu’une fissure se creusait dans ma tête, que des fourmis en sortaient puis descendaient le long de ma colonne vertébrale. Les gens côtoyaient la mort, ce n’était pas une métaphore mais la réalité. Ils n’avaient pas le loisir de réfléchir aux grandes questions, ils n’avaient pas la curiosité de comprendre la situation militaire ni le contexte politique, ils n’avaient ni le temps ni l’espace pour penser. Ils luttaient pour leur survie. La seule chose qui importait, c’était de savoir comment ils pourraient se procurer de la farine pour faire du pain ? Le café étant devenu denrée rare, trouveraient-ils encore du thé ou du sucre ? Y aurait-il de l’eau pour se laver le visage le matin ? Un repas suffirait-il à satisfaire toutes ces bouches ? Est-ce que l’un d’eux parviendrait à mourir de sa belle mort ? (p. 146 – 147.)

« Vous voulez vraiment faire connaître au monde ce qui nous est arrivé ? Jurez que vous direz au monde entier que les habitants des autres villages nous ont chassés. Ce n’est pas comme vous croyez. Le peuple n’est pas uni. La haine monte entre les gens. Vous voyez là-bas ? » Elle me montra une fenêtre étroite au cadre rouillé : « Là-bas, c’est le front. Nous les voyons ; ils nous voient. Trois kilomètres seulement nous séparent… Nous vivons ici isolés, sans un sou. On ne peut pas appeler cela vivre. Je me serais suicidée si je ne craignais pas Dieu. Nous mourons à petit feu ici, comme des bêtes de somme attachées à un arbre et abandonnées jusqu’à ce qu’elles crèvent de faim. Nos proches restés au village sont morts sous les bombes. Les serpents rampent autour de nous jour et nuit. Vous seriez capable de passer ne serait-ce qu’une nuit avec nous ? Impossible…! Vous voyez ces sacs…? » Elle me montra trois sachets suspendus à un pilier : « Ce sont nos vêtements, on les met là au cas où il faudrait fuir rapidement. Nous sommes perdus, sans abri. Vous voyez mon ventre ? Je compte être enceinte tous les neuf mois pour que notre lignée ne disparaisse pas. Nos enfants recouvreront nos droits. Nous voulons qu’ils soient instruits, nous voulons qu’ils se battent pour que nous puissions rentrer chez nous. Nous ne plierons jamais devant Bachar ! Nous ne nous rendrons jamais. Nous ne reculerons jamais ! » (p. 220.)

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