Avis : Ataraxia d’Alizé Meurisse

Quatrième de couverture : Dans un monde harmonieux qui a vu l’avènement d’une humanité améliorée, paisible et asexuée, la violence est la seule chance de survie pour les factions rebelles en voie d’extinction.

Avis : À l’origine de ce livre, il y a peut-être un constat très simple : l’émotionnalité est en train de prendre le pas sur la réflexion. Il suffit de se connecter à un certain réseau social quotidiennement pour s’en rendre compte. L’émotion fait se propager aussi bien des photos de chatons que des coups de gueule véhéments. Le problème ne vient pas des chatons bien entendu, mais de la prise de recul de moins en moins évidente au moment de partager des émotions négatives qui, parfois, arrivent à générer une forme de violence, en premier lieu verbale. Qu’arriverait-il si cette violence s’exportait hors d’Internet, si le trop-plein d’émotion soudait les gens entre eux et formait des blocs opposés incapables de communiquer entre eux et prêts à s’affronter ? Maintenant, que se passerait-il si les émotions disparaissaient ? Si la population était soignée, lissée et policée ? The End of Violence. Et fin des chatons.

Le monde d’Ataraxia est celui de l’harmonie sans vagues où tout le monde est à sa place. Ou presque. Car, comme dans tout roman d’anticipation dystopique, il est de bon ton d’avoir quelques éléments perturbateurs. Ceux-ci semblent ici tout droit échappés de Fight Club – la référence au mobilier IKEA ne passant d’ailleurs pas inaperçue ; la violence et le sexe leur servant à se sentir vivants dans ce monde anesthésié. À côté des mots Violators et Exciters qui ornent leurs vestes, il ne manque finalement qu’un grand A cerclé pour compléter le tableau.

L’intention de l’auteur ne semble malgré tout pas très claire jusqu’au bout. Elle place le lecteur en position de spectateur passif attendant patiemment ce moment où quelque chose viendra tout éclairer et donner un sens profond au livre, mais ce moment ne vient jamais. L’histoire prend dès le départ un air choral, avec des personnages naviguant de l’ombre à la lumière et vice-versa, se croisant, évoluant chacun à son rythme, mais la mécanique atteint rapidement ses limites. Les divers protagonistes peinent à être attachants, à avoir un objectif fort qui guide leurs pas. Les transitions de l’un à l’autre au sein d’un même chapitre sont souvent abruptes, faisant perdre sa fluidité au déroulement de l’intrigue. Il devient alors difficile de ne pas s’attacher plus à la forme, parfois maladroite et entachée de coquilles, qu’au fond. Ce qui n’est pas sans pénaliser le plaisir de la lecture. Il ne reste à la fin qu’une enveloppe de papier un peu trop vide recouverte d’une compilation d’informations glanées au fil du net ou entendues dans les médias, chapeautée de titre de films, livres, chansons, le tout parsemé de définitions retravaillées issues pour la plupart de Wikipédia.

Avec la guerre, la procréation médicalement assistée, la surpopulation, la thérapie génique, l’hygiénisme, l’extinction des animaux comme socle actuel de départ, Alizé Meurisse projette le lecteur dans une vision de notre monde tel qu’il pourrait être demain. L’éradication des émotions, cette ataraxie qu’elle propose, met mal à l’aise, car il y a la perte de quelque chose d’essentiel à l’Homme, ce qui lui donne du relief. Malheureusement, il manque à cette solution la perversité terrifiante de celle d’un Harmony de Project Itoh par exemple, qui creusait bien plus les choses et proposait des pistes de réflexion extrêmement riches. Ici, une fois la dernière page tournée, en l’absence de matière, le livre peut être rangé et oublié.

Note : Avis initialement publié sur Onirik.net.

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