Perspective(s) de Laurent Binet

Présentation de l’éditeur : Florence, 1557. Le peintre Pontormo est retrouvé assassiné au pied des fresques auxquelles il travaillait depuis onze ans. Un tableau a été maquillé. Un crime de lèse-majesté a été commis. Vasari, l’homme à tout faire du duc de Florence, est chargé de l’enquête. Pour l’assister à distance, il se tourne vers le vieux Michel-Ange exilé à Rome.
La situation exige discrétion, loyauté, sensibilité artistique et sens politique. L’Europe est une poudrière. Cosimo de Médicis doit faire face aux convoitises de sa cousine Catherine, reine de France, alliée à son vieil ennemi, le républicain Piero Strozzi. Les couvents de la ville pullulent de nostalgiques de Savonarole tandis qu’à Rome, le pape condamne les nudités de le chapelle Sixtine.

Perspective(s) est un polar historique épistolaire. Du broyeur de couleurs à la reine de France en passant par les meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, chacun des correspondants joue sa carte. Tout le monde est suspect.

 

Avis : D’habitude, je regarde la rentrée littéraire de très loin. Là, j’avoue, à force de voir passer de bonnes critiques sur le livre de Laurent Binet (que je n’avais jamais lu auparavant), j’ai craqué. Bon, Croix de cendre d’Antoine Sénanque me fait aussi de l’œil. J’ai de toute évidence envie de voyager dans le temps pour mener des enquêtes en ce moment. Ici, ce sera donc Florence en 1557. Ville que je connais surtout à travers le manga de Fuyumi Soryo, Cesare, qui se déroule quelque 60 ans avant les événements de Perspective(s). Certains noms sont donc familiers.

Le livre s’ouvre sur deux cartes qui permettent d’un peu resituer le contexte géopolitique du pays et de la ville. Elles ont sans doute été utiles à l’auteur à un moment de son processus d’écriture, mais elles ne servent pas à grand-chose du point de vue du lecteur. Contrairement à la liste des personnages principaux qui les suit et à laquelle je me suis effectivement beaucoup référée. J’ai aussi dû faire quelques recherches en parallèle des premiers chapitres pour comprendre certains événements historiques mentionnés dont je n’avais jamais entendu parler. Une fois cette mise à niveau faite, ça a été beaucoup plus simple de suivre l’histoire. L’auteur prend en plus le soin de ne pas multiplier les points de vue au début afin de mettre en place sa situation de départ. Très rapidement, on repère qui est qui et l’enquête prend son envol.

Tout part donc de la découverte du corps d’un peintre au pied d’une fresque qu’il aurait modifiée juste avant de mourir et d’un tableau par lequel le scandale pourrait bien arriver s’il tombait entre de mauvaises mains. Ce tableau est un peu l’ancêtre du deep fake et du revenge porn. Le lecteur se retrouve très vite plongé au cœur d’intrigues politiques et religieuses à un moment de l’histoire où le Pape décide de ce qui est décent et indécent dans l’art. Il est bien sûr « amusant » de voir comme les mêmes débats n’en finissent jamais d’agiter les sociétés, quelle que soit l’époque. Les parallèles ne s’arrêtent pas là puisque les questionnements sur la censure, la volonté de destruction et d’effacement d’œuvres en fonction de l’air du temps sont amplement soulevés. Il y est aussi question de sodomites dégénérés, de nonnes hystériques qui en ont gros et d’ouvriers qui osent s’organiser pour réclamer de meilleurs salaires alors que les riches deviennent de plus en plus riches et que les pauvres sont de plus en plus précaires. Mais, vraiment, où va le monde ?!

Une fois entamé, j’ai eu beaucoup de mal à lâcher ce livre. Le choix du récit épistolaire fait que les chapitres sont de fait assez courts et s’enchaînent très vite. Les courriers forment une sorte de puzzle que le lecteur va devoir recomposer pour y voir plus clair. Que s’est-il passé dans cette basilique où personne ne pouvait jamais rentrer ? À qui profite le crime ? Aux protestants, aux catholiques, aux Français, aux savonarolistes, au Pape, à un peintre jaloux, aux apprentis ? Sur la fin, j’ai trouvé qu’il y avait peut-être quelques longueurs et, surtout, le dénouement m’a laissée un peu mitigée ; il m’a à la fois amusée et déçue, même si j’ai apprécié les retournements de situation de dernière minute.

En plus d’être ludique et instructif, Perspective(s) ne manque pas d’humour, malgré son sujet sérieux et complexe. Le livre ne marquera sans doute pas durablement les mémoires, mais il n’en reste pas moins un bon divertissement (certes, un peu érudit), et il faut saluer le travail de recontextualisation et de recherche de l’auteur, autant sur les personnages que sur l’époque. Il a pris des libertés avec des personnes bien réelles comme Michel-Ange, Bronzino, Catherine de Médicis, Cosimo de Médicis, Vasari… et tout repose sur la mort mystérieuse de Pontormo, autour de laquelle il y a effectivement des inconnues. Laurent Binet est donc venu se greffer sur ce vide véridique pour bâtir une histoire qui fonctionne vraiment bien. Maintenant que j’ai découvert son travail et sa plume, je compte bien me pencher sur HHhH, ce qui risque d’être moins divertissant, mais tout aussi intéressant.

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