Tout ce que dit Manon est vrai de Manon Fargetton

Présentation de l’éditeur : Un roman à mettre entre les mains de toutes les jeunes filles…
Faut-il vraiment croire tout ce que dit Manon ? À l’entendre, la relation que l’adolescente entretient avec Gérald, un éditeur de BD de quarante ans son aîné, aurait tout d’une grande passion. Il admire son talent, sa jeunesse. Ils s’aiment. Et d’ailleurs, sa femme est d’accord. Mais pour la mère de l’aspirante-dessinatrice, l’emprise est là, et elle n’hésite pas à s’y confronter. Que sait-on de la vie, de l’amour, quand on a seize ans ?
Il y a ce que dit Manon. Ce que disent les autres, autour d’elle…
La vérité éclate entre les bulles.

 

Avis : J’avais ce livre dans le collimateur depuis quelques mois déjà. Je savais qu’il fallait que je le lise, je pressentais quelque chose de fort et d’essentiel. La sortie du poche a été le déclic. Ce que je ne savais pas, c’est qu’il me collerait autant aux doigts et que je le lirais aussi vite.

Difficile de dire que j’ai adoré, ce n’est pas le cas. Ce n’est pas le genre de livres qu’on adore. Tout ce que dit Manon est vrai est un livre poisseux et troublant qui n’est allégé que par la lumière que dégage Manon et la combativité que transpire sa mère. On ne sait jamais tout à fait ce qui est purement autobiographique et ce qui a été recréé pour enrichir la narration. L’autrice en parle très bien sur les réseaux sociaux, c’est bien son histoire, mais racontée de façon décalée pour en faire un roman. Il n’est plus question d’une écrivaine de 16 ans, mais d’une autrice de BD du même âge, et surtout l’histoire ne se construit qu’à travers le regard et les pensées des personnes qui gravitent autour de Manon. Pour certaines, on devine qu’elles ont été fidèlement restituées après de nombreuses conversations et relectures des échanges de l’époque, pour d’autres, il ne peut s’agir que du produit de l’imagination de l’autrice qui est venue combler les trous. Ainsi, on se retrouve dans la tête de la mère de Manon, de ses frères, de ses petits amis, de ses ami·e·s, de son éditeur et de son épouse, et d’autres encore. Ce travail d’écriture offre un récit choral foisonnant à la première personne où tous s’adressent à Manon en utilisant « tunbsp;», procédé très rare et surtout particulièrement bien maîtrisé ici. La voix de Manon n’est présente qu’à travers ses mails et SMS et les messages de Manon à Manon, celle de 2021 s’adressant à celle de l’époque. Je pense ne jamais oublier le contenu de l’un de ces messages. Je ne le dévoilerai pas ici, je me contenterai de dire qu’il y est question d’excuses et c’est bouleversant à lire.

Bien sûr, impossible de parler de ce livre sans parler de la mère. Déterminée, admirable, extrêmement saine et réaliste, même si certains points de vue la présentent comme excessive. C’est cependant une figure de mère qui rassure, surtout si on la compare à certaines mères qui ne s’opposent jamais et qui entretiennent le déni pour ne pas voir les ignominies qui se déroulent sous leurs yeux. Qui plus est, cette mère ne va pas devoir s’emparer d’un seul problème lié à sa fille, mais bien de deux. Car cette histoire de manipulation va lever un lièvre et, là encore, elle ne va pas se démonter, elle va tout gérer, elle va aller jusqu’au bout et ne jamais laisser tomber sa fille, même si celle-ci n’est pas à un âge très tendre et que l’ombre de sa majorité crée une tension pesante tout au long du récit.

Tout ce que dit Manon est vrai est sorti un an après Le Consentement de Vanessa Springora. Les procédés utilisés pour raconter diffèrent, mais le thème, lui, est le même : l’emprise d’un homme mûr sur une jeune fille en quête d’une forme de figure paternelle et d’une émancipation. Ici, ce mécanisme d’emprise est décrit de manière plus poussée avec beaucoup de détails et surtout en présentant le versant du manipulateur/agresseur qui donne très rapidement la nausée. Un regard d’adulte, averti qui plus est, détectera comment l’usage des mots, les accusations directes usant abondamment du « tunbsp;», le chantage affectif constant, un jeu habile à la frontière entre perso et pro et un comportement infantile permet de déstabiliser l’enfant ou l’adolescent·e en face. Ce serait facile de dire que ce n’est qu’un personnage de livre, sauf que c’est aussi ce qu’on lit dans Le Consentement et dans beaucoup d’autres autobiographies et autofictions. C’est le mode opératoire que l’on retrouve également chez des prédateurs sexuels qui s’en prennent à des adultes en position d’infériorité (âge, hiérarchie, etc.) et dont la parole se libère par vagues depuis l’affaire Weinstein.

À la fin, il reste la question du « qui est-il vraiment ?nbsp;» Honnêtement, le nom de l’éditeur concerné n’est pas très difficile à trouver. Pourquoi n’est-il pas encore sorti ? Sans doute pour la sempiternelle même raison. Il faudra plus d’une voix pour que les gens du métier ne puissent plus dire qu’ils ne savaient pas. Ici, il y a une victime qui témoigne et, de manière astucieuse, elle a donné tous les indices pour avertir. En lisant les derniers mots qui font craindre le pire pour une autre jeune femme, on ne peut que souhaiter que son livre ouvre une nouvelle brèche, même des années après.

Merci et bravo à Manon Fargetton pour son livre, pour ses talents d’autrice et pour son témoignage avant tout. Tout ce que dit Manon est vrai, il n’y a pas à en douter, même si pour une petite part, c’est en effet de la fiction. C’est une voix de plus qui vient se rajouter à toutes celles qui se sont déjà élevées. Et en ça, c’est un livre qu’il faut lire, qu’il faut faire découvrir, qu’il faut affronter parce qu’il met souvent mal à l’aise, mais qui est, à mon sens, essentiel.

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